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Joseph Regat

L’enfance

Joseph Regat naît en 1891 en Haute-Savoie, à Pers-Jussy dans la ferme de ses parents, Jean Regat et Andréane Barbier. C’est là qu’il passe son enfance. Il suit les cours de la communale à Pers-Jussy avec pour instituteur Paul Jacquet. Il restera en contact toute sa vie avec le célèbre artiste potier. Enfant curieux, il rêve déjà de voler et saute des arbres avec un parapluie en guise de parachute… ce n’est peut-être pas un hasard si des années plus tard, il cherche à apprivoiser la graviter, en mettant au point une machine volante. Joseph gardera toute sa vie, l’enthousiasme, la curiosité et la passion de l’enfant.

La guerre

Après son apprentissage de mécanicien. Joseph est appelé pour le service militaire. La première guerre mondiale éclate et il est envoyé au front, où il est fait prisonnier. Il passe 4 ans en captivité en Allemagne. Finalement, il reste éloigné sept années de ses parents, de sa maison, de sa région.

Et après

A son retour, il épouse Angèle en et ils ont cinq enfants Marie-Louise, Paul, Philippe, Andrée puis dix ans plus tard Hélène.

A cause de ses années perdues à la guerre, il ne peut plus postuler pour les chemins de fer, ambition née de sa passion pour la science et les techniques. Il ne reprend pas la ferme familiale mais part s’installer à Reignier, où il achète une maison atelier. Il crée son commerce de mécanique où il vend et répare des vélos, des mobylettes, des motos ou des machines à coudre. Il installe également pour des particuliers des réseaux électriques et des réseaux d’eau sur le principe des châteaux d’eau. On comprend déjà que Joseph est un « touche à tout », poussé par un impérieux besoin d’apprendre et une curiosité sans bornes.

La poterie

A cause de ses années perdues à la guerre, il doit abandonner son ambition de travailler pour les chemins de fer. Avec sa femme, ils achètent alors une maison atelier à Reignier. Il installe d’abord un petit atelier de mécanique où il vend et répare les vélos, les mobylettes et des motos.

Sans que l’on sache ce qui déclencha sa « reconversion », Joseph abandonne progressivement ce métier pour exercer celui de potier à partir de 1932. Il réalisera en fonction des commandes des pièces publicitaires, des poteries souvenirs, des poteries utilitaires… et suivant son inspiration, des pièces magnifiques plus personnelles, plus artistiques. C’était cette partie de son travail qui l’intéressait, s’acharnant à réaliser des pièces les plus belles possibles, cherchant à créer son chef d’œuvre. Il essayait sans cesse des formes, des décors, des teintes, des vernis, domptant la magie de la terre et du feu. Les  séries, les objets pour touristes étaient sans intérêt à ses yeux, il ne s’inquiétait pas d’argent, mais rêvait, cherchait, essayait… Joseph était non seulement un potier et un artiste mais il était curieux de tout, passionné par les sciences et les techniques. Par exemple, pour sa poterie, il développera des perfectionnements comme le coulage et le calibrage. Lecteur de « Science et vie », il se passionnait pour tous les sujets. Il mettra ses idées en pratique dans ces nouveaux champs d’expérience : il cherchait, entre autres, à réaliser une machine volante, il s’était  construit son poste de TSF (la première radio à Reignier), une lunette astronomique dont il réalisait et mettait au point lui-même les lentilles, une machine à vapeur miniature…

Grand-père idéal, Joseph enfin était capable d’abandonner son travail pour jouer avec ses petits enfants et leur confectionner un cerf-volant. Il avait encore apprivoisé une araignée, qui logeait, avec sa toile, au coin de son établi et répondait lorsqu’il l’appelait. Il participa aussi à la réalisation du char pour la première fête des jonquilles.

En 1 960, il est contraint de fermer la poterie. Il travaillera ensuite avec ses fils Paul et Philippe qui ont crée, à Pers-Jussy, une fabrique industrielle de pot de fleurs et de plantes. Rapidement, dans la mouvance générale de toute la vallée de l’Arve, cette entreprise s’équipera de tours de décolletage, Joseph participera encore à cette aventure.

Angèle meurt en 19.., , elle avait travaillé avec Joseph tout au long de leur vie commune, dans l’atelier de mécanique, puis à la poterie. Elle lui avait apporté pendant toute ces années, l’intendance raisonnable du quotidien qu’il aurait sacrifié à ses passions : elle fut l’appui dont il avait besoin. La maladie le touchera alors et il mourra à Reignier, à 78 ans, en 1970.

L’atelier

La poterie était hébergée dans la même maison que son atelier de mécanique.

Elle était située à Reignier, en Haute-Savoie, rue des écoles et, aujourd’hui, un square, nommé place du potier fait face à l’ancien atelier.

Cette maison a été construite au milieu du XIXéme siècle. Deux fosses creusées dans un petit jardin enclos, à l’atelier, servaient à laisser reposer la terre

Enfin une vitrine qui jouxtait l’atelier présentait les pots à la clientèle (Joseph et son fils Philippe, devant la vitrine) :

La fabrication

  • La terre & sa préparation

La terre glaise provient de Pers-Jussy, du champ « les Réleuses » dans le hameau de Navilly. La première étape consiste en un travail de terrassier : il faut extraire la terre du sol, la charger et l’acheminer vers la poterie. Dans les dernières années, Joseph achète un terrain vers la tour de Bellecombe où il prend la glaise.

La terre rapportée est mise à sécher. Elle est alors délayée dans le « patouilleur », ou elle est gâchée jusqu’à l’obtention d’une crème liquide.

Elle est ensuite tamisée pour éviter les « pierres à chaud » : ces petits gravillons, restés dans la terre font éclater le vernis au moment de la cuisson.

Mise à décanter dans les fosses du jardin, l’eau est « soutirée » tandis que l’évaporation naturelle achève son séchage (La poterie de Reignier ira jusqu’à deux productions de stock de terre glaise dans l’année)

Une fois la terre durcie et avant qu’elle ne se craquelle, elle est mise à sécher en cave, découpée en carrés pour être transportée. Là, elle va mûrir et acquérir sa souplesse et son liant. Elle est enfin malaxée dans une machine prévue à cet effet d’où sortira un boudin régulier. Le boudin est finalement tranché suivant le dosage de terre nécessaire à la réalisation d’une pièce et le pâton posé à portée du potier.

  • Le tournage

Joseph Regat tourne ses poteries, plus tard, il embauche le tourneur Grandon qui travaillait auparavant chez Tripp, puis chez Jacquet et le tourneur Grimonet, un ancien de chez Schlibs.

Quand ils sont en age de travailler, les fils de Joseph, Paul et Philippe travaillent également avec lui.

Le tournage consiste à donner la forme voulue à la pièce sous la pression des doigts, alors que la pièce, sur le tour, tourne sur elle-même. Cette opération s’appelle moulage. Une réserve d’eau permet au potier de se mouiller les doigts en permanence. Il garde aussi, à portée de main, des bâtons avec encoches pour réaliser des pièces aux dimensions voulues, une éponge et une épinglette, poinçon taillé en pointe fine, pour enlever les petites pierres, couper la terre ou jauger l’épaisseur du fond. L’esthèque, une plaque de cuivre, sert à polir les flancs de la pièce.

Le tourneur centre sa motte de terre glaise sur la tête du tour, il l’humecte. Il relève petit à petit les bords du pâton au moyen de son index, appliqué sur la surface intérieure. La contre-pression appliquée au moyen de la paume et des doigts est accentuée progressivement sur l’extérieur.

Un fil métallique équipé d’un bâton de bois à chaque extrémité permet de détacher la pièce du tour lorsque le tournage est terminé.

La poterie tourne une grande variété de pièces différentes :

  • Les objets traditionnels et utiles : Des cache-pots, des brocs, des vases, assiettes décoratives, tasses, des plats à tarte, des plats, des saladiers, des bonbonnières, des cendriers, des bougeoirs…
  • Les objets souvenirs : en forme de cloches, vase en forme de tronc d’arbre, cendriers
  • Les pièces originales : Les grands vases à fond percé (destiné à l’origine à être transformé en lampe), la colonne, les gourdes, la corbeille à fruit
  • Le moulage

Des pièces comme les statues de vierge, les tirelires, les brocs en forme de melon sont moulés. Les sabots par exemple sont réalisés dans un moule de plâtre en deux parties, jointes au moyen d’un élastique de caoutchouc. La terre glaise est coulée dans le moule puis enlevée tandis qu’une couche restée sur le moule a la forme du sabot. Le moule retiré, la jointure est ébarbée au moyen d’une petite palette.

Exemple de réalisation d’un moule à pichets à partir d’un modèle tourné :

1/ Fabrication du moule inférieur : La pièce est allongée dans un cadre et celui-ci est rempli de plâtre jusqu’au niveau du plan de symétrie de la pièce

2/ Perçage de cônes : Une fois le plâtre sec, des cônes sont creusés dans le moule. Ils serviront à repérer les positions des moules l’un par rapport à l’autre et à les imbriquer.

3/ Protection : afin que le second moule soit disjoint du premier, une barbotine est coulée sur la surface du moule

4/ Fabrication du moule supérieur : Du plâtre est à nouveau coulé dans le cadre au delà du niveau supérieur de la pièce.

5/ L’ouverture : On creuse alors le plâtre sec à l’aplomb de l’ouverture du pichet, c’est par cet orifice que sera rempli le moule.

6/ En séparant les deux moules, on obtient deux moules symétriques prêt à réaliser de nouvelles pièces à la forme identiques les unes des autres.

Les branches, les feuilles de vigne vierge ou de poirier, les grappes qui ornent en relief certaines poteries sont réalisées dans un moule et jointes aux pièces tournées.

Philippe avec Joseph ont mis au point une machine automatique permettant de mouler différentes pièces : des tasses, des bols, des pots de fleur, des plats… Elle permet de réaliser six pièces à la minute.

  • L’engobe

Les pièces crues et sèches sont trempées dans une argile blanche. Cette couche de vernis, généralement teintée au moyen d’un oxyde colorant, compose la couche de fond : l’engobe. Après avoir été brassé dans des bacs, le vernis se présente comme du lait. Sa dépose est effectuée en deux temps, la première phase pour l’extérieur, la seconde pour l’intérieur, entre les deux, un séchage partiel est nécessaire.

Le décor

Une fois, l’engobe sèche, on peut enfin décorer la pièce. Les dessins d’Edelweiss, les jaspés, les points sont réalisés à la poire tandis que les motifs de peinture sont appliqués au pinceau. Les dessins dont les contours sont marqués en relief sont creusés à la pointe avant que les couleurs ne viennent remplir les surfaces ainsi délimitées.

Parmi les décors,  il y a des peintures de monuments (Le palais de l’Isle d’Annecy) ou de paysage des environs (La pierre aux fées, la tour de Bellecombe, le moulin du Châtelet…), de fleurs, de papillons, d’oiseaux, de vignes…, de frises et de motifs géométriques pour les poteries les plus raffinées. D’autres sont habillées d’un seul vernis aux reflets métalliques, dit « Hispano-mauresque ». Les poteries « utiles » sont quand à elles ornées de poids, de jaspés, décors traditionnels des poteries savoyardes. Les poteries souvenirs sont généralement décorées d’edelweiss, symbole des Alpes. On peut également trouver la croix de Savoie sur certaines pièces.

Enfin des inscriptions écrites dans le décor ornent les poteries commerciales : nom d’une ville ou d’un village pour un souvenir, d’une boutique pour des cadeaux d’étrennes ou d’un restaurant pour de la vaisselle.

Quelquefois la signature du décorateur est ajoutée au décor.

Les couleurs utilisées pour les motifs sont de même composition chimique et ont des propriétés physiques proches de celles de la couche de fond. En revanche, on cherche à avoir une peinture moins fluide.

Les teintes sont nombreuses et fabriquées à partir d’oxyde métallique. La poterie se fournit pour la plupart des tons à l’ HOSPIED à Vallauris

L’exemple de l’oxyde de cuivre est intéressant parce qu’il est facile à obtenir : En cuisant jusqu’à son oxydation des fils de bobinage fin, on obtient des paillettes brunes, elles sont ensuite moulues à l’état de poudre. La couleur brune au trempage ressort verte à l’issue de la cuisson.

Joseph peint toutes sortes de décors sur ses poteries, Philippe les décore volontiers de paysages tandis que Marie-louise et Andrée, ses deux filles peignent des fleurs ou des décors traditionnels.

Enfin sur quelques pièces, une fois le motif dessiné, le vernis est gratté jusqu’à la terre rouge pour obtenir un décor en relief.

Les pièces sont ensuite mises à sécher.

  • La cuisson

Les pièces d’une teinte grise et matte, sont ensuite enfournées. On ne peut pas alors distinguer le décor qui ne se révèle qu’à l’issue de l’opération.

L’enfournement demande beaucoup de précautions et nécessite un rangement optimal des pièces dans le four. Elles sont posées sur des supports à 3 points de contact : à cause du vernis qui va fondre au cours de la cuisson et qui risque d’assembler la pièce à son support.

La cuisson consiste à cuire la terre, à fondre les vernis puis a les vitrifier. De nombreux paramètres sont donc à maîtriser : La longueur, l’ampleur des flammes et leur dispersion. Le flux de carbone est réglé pour révéler au mieux les oxydes métalliques.

La cuisson se fait en 2 temps : Une première phase à basse température pour sécher les pièces, puis la phase de cuisson à des températures plus élevées, i.e. atteignant les 980°C. Le contrôle de la température se fait visuellement par les hublots, au moyen d’un pyromètre et enfin grâce à des « montres » chandelles dont la forme varie précisément et visiblement en fonction de la température atteinte. Les couleurs sont « mangées » autour de 1100°C et l’argile fond à 1200°C.

La poterie Regat utilise dans un premier temps un four à bois, puis plus tard, un four électrique. Tandis que le volume du four à bois est de cinq mètres cubes environ, celui du four électrique n’est que de 0,75 mètre cube, en revanche s’il fallait 24 heures pour une cuisson au bois, huit heures suffise dans le second cas. La première phase, de séchage, pouvant être écourtée dans un four électrique.

Joseph a aussi un petit four qui lui sert à ses essais de mise au point. En particulier, il « enfume » dans ce four : soufflant des polymères à l’intérieur du four pendant la fusion du vernis. C’est ainsi qu’il réalise les pièces au décor « hispano-mauresque »

  • La vente

Le commerce associe les ventes directes à des boutiques d’objets promotionnels, de cadeaux d’étrennes à la production de pièces exclusives, œuvre d’art, vendues à l’unité à l’atelier à des amateurs éclairés.

Pendant la guerre Marie-Louise Regat va démarcher les habitants des alentours directement et cherche à échanger des poteries contre des tickets de rationnement.

Andrée se souvient être allée à moto, conduite par Philippe, présenter aux marchands de souvenirs des stations de sport d’hivers, les échantillons regroupés dans une valise. Les pièces approuvées sont fabriquées en série et distribuées par des dépositaires dans la plupart des stations de ski de l’époque : Megève, Chamonix, les Gets, les Aravis … Pour faire sa tournée des stations et livrer Joseph possède aussi une camionnette.

Des formes & motifs modernes